Retour du martien
janvier 8, 2025
tribune libre
Par Ata-Ilah Khaouja
De quoi s’agit-il ?
Le 10 juillet 2023, par un hasard miraculeux, LTE magazine a eu le privilège inespéré de s’entretenir avec un lointain martien qui a bien voulu nous confier quelques-unes ses impressions personnelles ainsi que le regard que portent les siens sur notre globe : https://ptt.ma/lafrique-dans-les-yeux-dun-martien/
Et il nous avait promis un retour en ce mois de janvier. Or, alors que nous l’attendions avec une brûlante impatience dans l’espoir de mener une deuxième conversation bien nourrie, l’entretien prévu a été transformé par l’intéressé en un simple message qu’il a déposé, le 02 janvier, avant de disparaître silencieusement et hâtivement. Que voici une partie uniquement :
‟Des feux d’artifice horribles
Tout d’abord, pour donner suite à notre entretien d’il y a deux ans, je vous ai promis, sans vous le confirmer, un retour en ce début de 2025. J’étais sur le point de renouer avec vous pour continuer le débat entamé en juillet 2023, sauf que l’évolution de vos manœuvres ces deux dernières années m’ont fait changer d’avis. J’ai vu encore hier, des feux d’artifices gigantesques parcourir votre planète, briller et éclairer tout votre ciel, et cela a produit chez notre espèce un dégoût jamais ressenti : votre planète suffoque !
Nous croyions que les feux d’artifices sont la célébration de réalisations majestueuses et prestigieuses.
Mais t’out d’abord…
… parlons-en de vos chefs d’œuvre : quels sont les accomplissements de l’année écoulée dignes de ces étincelles bruyantes qui ont traversées votre globe d’Est en Ouest et du Nord au Sud ?
Minuscule et à peine visible pièce, un insignifiant dé de l’échiquier universel, votre globe est compromis par votre présence redoutable ; l’arrogance de votre espèce vous fait croire imbattables et le sentiment de supériorité vous berne.
Vu d’ici tout au voisinage de notre galaxie, et vu d’ailleurs également, votre globe est un joyau qui n’a aucun équivalent dans toute l’étendue à des milliards d’années-lumière à la ronde. Vous l’ignorez : votre planète est un paradis sans équivalent autour de vous et de nous.
Or, vous vous comportez comme l’enfant gâté qui lorgne toujours le jouet de son voisin et brûle d’envie pour s’en emparer. Vous ne savez pas vous réjouir de vos biens propres mais vous dépensez des sommes colossales pour épier les occupants des autres planètes : après avoir échoué à conquérir la lune, vous voilà occupés à loucher sur notre planète Mars. Vous lâchez la proie pour l’ombre, mais nous ne sommes ni vos ombres ni vos proies. Si c’est pour y ramener un quelconque souvenir, sachez que vos souvenirs empestent et empoisonnent ; nous n’en voulons pas ici. Sinon, si c’est pour, d’abord nous observer et faire de nous vos objets d’études et d’analyses pour nourrir des commentaires et des rapports : nous ne sommes pas matière à examen. Si c’est pour occuper ensuite juste un bout de notre territoire pour y installer un quelconque observatoire et finir par nous expulser et s’approprier toute notre belle planète, nous vous disons : non, tout simplement, car nous vous avons vus à l’œuvre entre vous-mêmes : demandez aux Inuits d’Amérique du Nord, au Aborigènes d’Australie, interroger les Hurons du Canada, les Mayas et les Aztèques de l’Amérique du Sud… La vue de votre planète assombrit nos visages et attriste nos cœurs ; vous êtes priés de passer sans vous arrêter à notre porte ! Car c’est culturel chez vous : votre ADN c’est la convoitise du bien de l’autre. La sublime et belle nature de votre planète est corrompue et souillée par votre culture.
Que c’est laborieux une grande prison !
Votre monde a changé depuis notre dernier échange en 2023 ; il a changé plus depuis, en pire bien évidemment, qu’entre 2000 et 2022 et peut-être même, grâce aux télécoms ou à cause d’elles, largement beaucoup plus qu’entre 1900 et 2023 !
Une planète en faillite qui garde encore le moral solide pour organiser des jeux et des fêtes et qui se réjouit à tirer des feux d’artifice, c’est ce que vous appelez de l’insouciance désastreuse. Parcourons ensemble le tableau de vos chefs d’œuvre : une triste carte de votre monde actuel est en train de voir le jour, des exterminations inédites en chaîne sont en train de se dérouler sous vos yeux ; ouvertement et sans retenue aucune, des génocides en plein jour sont en cours dans le silence organisé des nations qu’on a occupé par des événements divers : jeux olympiques, coupe du monde, festivals de tous genres : que des jeux et des fêtes ; que de la distraction méticuleusement orchestrée dans le théâtre mondial. Une scène folle.
Une scène ou une culture folle car pour nous, votre CV, est depuis toujours établie : nom : humanité ; nationalité : l’injustice ; passion : les guerres et les destructions ; sport favori : le vice ; obsession : les dominations culturelles et économiques ; loisirs : les colonisations géographiques. Des preuves peut-être de cet hiver glacial ?
Voici quelques-uns de vos chiffres connus de tous : entre 2000 et 2019, le nombre de prisonniers dans votre monde a augmenté de 25% près de 12 millions de vos semblables sont incarcérés ; nous ne connaissons pas vos vices et donc nous n’avons besoin de les corriger par des enfermements. Circulent parmi vous aujourd’hui, au moins 754 millions d’adultes et 250 millions d’enfants analphabètes, qui seront les adultes de votre demain, qui ne possèdent pas les compétences de base de lecture ni celles de l’écriture. 720 000 personnes se suicident chaque année chez vous ; nous ne connaissons pas ce fléau. Le nombre de personnes atteintes d’un handicap important est estimé à 1.3 milliards contre aucun chez nous !
4% de votre population, plus de 300 millions de personnes vivent avec une maladie rare. Nous n’en connaissons pas. Inutile de reparler des 1.6 millions de victimes de violence ni des 280 millions de déprimés, ni entre 20 et 30 millions de cas de cancer déclarés non plus… que de bonnes nouvelles qui décrivent un travail laborieux !
Des yeux gros mais pas de cœur.
Notre habitat est plus petit que le vôtre et nous n’avons aucune intention de l’agrandir. Vous vivez sur une superficie de 510 millions km² alors que la nôtre est à peine de 55.9 km², dix fois moins grande. Alors si vous envisagez, une fois embarqués chez nous, de construire des hôpitaux : nous n’avons pas de malades ; ou si vous caressez le rêve de construire des prisons : nous ne connaissons pas de vice. Nous craignons que tous vos projets ne soient motivés que par votre volonté de délocaliser vos malades et vos prisonniers, le plus loin possible de vos regards pour que vous continuiez à produire encore des malades et des prisonniers.
Bref, vous passer votre temps à travailler pour réparer les méfaits de votre travail. Les découvertes pour vaincre telle maladie sont applaudies et récompensées par des prix et des trophées, mais sont tues les découvertes antérieures qui ont provoquées lesdites maladies… ”
Pour finir, des questions provocatrices.
Le message ci-dessous, transmis fidèlement sans la moindre retouche ni modification, dépeint sévèrement le tableau de nos agissements de terriens et décrit objectivement et scrupuleusement les violences inhumaines de notre espèce. Notre planète, comme la décrit merveilleusement bien le martien, est une perle, mais malheureusement nous lui faisons subir les plus terribles des traitements. Notre espèce est cruellement implacable à l’égard de la nature et envers nos semblables ; un homicide organisé, ici ou là, à l’échelle du globe se déroule à visage découvert : que dire des vies humaines brulées vives dans les guerres en Palestine ou en Ukraine, au Soudan ou ailleurs ? Par l’injustice communément admise : on tait l’assassinat de centaines de bébés, de femmes et de journalistes dans un coin du monde ; et en même temps on crie au scandale quand, ailleurs, un animal de compagnie est maltraité et on hurle, autre part, à la menace de la liberté d’expression lorsqu’un seul journaliste est emprisonné. Avons-nous besoin d’un martien qui habite à 62 millions de km de chez nous, pour que nous nous rendions compte qu’au vu de l’arsenal atomique dont sont équipées actuellement les nations nantis, et à cause d’une laide culture, notre planète ressemble à un tas de fulmicoton nucléaire prêt à faire sauter toute cette belle nature ?
Par Ata-Ilah Khaouja